Les différents impacts sur la vie des personnes accueillies en Ésat.

ℹ️ Cet article a été posté le 20 juillet 2020. Il commence à dater mais n'est pas forcément obsolète.

D’un point de vue qualitatif, les établissements et services d’aide par le travail n’apparaitraient pas vécu comme un lieu d’enfermement et seraient systématiquement décrits comme des lieux d’inclusion à différents titres.

Rapport IGAS et IGF Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) – Octobre 2019

Par lettre de mission du 28 mars 2019, la ministre des Solidarités et de la santé, la ministre du Travail, le ministre de l’Action et des comptes publics et la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées ont demandé à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) de conduire une mission conjointe relative aux établissements et services d’aide par le travail (Ésat).

Je travaille comme moniteur d’atelier dans un Ésat depuis neuf mois maintenant et je souhaite mettre en exergue la première partie du chapitre 2 (L’inclusion des travailleurs d’Ésat ne peut pas être réduite à leur sortie vers le milieu ordinaire) du rapport : Les Ésat sont vécus par les travailleurs eux-mêmes comme inclusifs.

Différents questionnements s’agitent dans ma tête autour de ce sujet et notamment durant les premières semaines où je pensait naïvement que l’objectif principal de mon métier était de faire en sorte qu’un usager puisse accéder au milieu ordinaire. J’ai très vite compris que pour ces personnes, ce milieu « ordinaire » était loin d’être l’idéal voir destructeur pour elles.

La découverte de ces différents impacts sociaux de cette étude font échos à ce que je vis professionnellement (me semble-t-il) et socialement avec ces personnes aujourd’hui :

Rupture de l’isolement et réduction des inégalités sociales face au handicap

Pour la grande majorité des travailleurs handicapés rencontrés, le bénéfice majeur de l’entrée en Ésat est la rupture de l’isolement :

être assise au foyer toute la journée, je deviendrais folle

ne pas rester enfermé sur soi-même

l’Ésat permet de voir du monde, d’être avec du monde

ne plus rester chez moi à ne rien faire

Les têtes de réseau font le même constat :

sans l’existence de ces structures, la majorité de ces personnes seraient profondément et durablement éloignées de l’emploi

Gésat (Groupement national des établissements et services d’aide par le travail).

La Mutualité française a également souligné la contribution des Ésat à la réduction des inégalités sociales face au handicap : en effet, à handicap égal, les personnes issues de catégories socio-professionnelles favorisées peuvent plus facilement, grâce aux solidarités et aux ressources de leur milieu familial et social, trouver un emploi en milieu ordinaire, tandis que pour celles issues de milieux à faible capital social, l’Ésat constitue la « bouée » qui permet d’échapper au chômage de longue durée et à l’exclusion.

Reconstruction identitaire

Le sentiment d’utilité sociale, la fierté de travailler, participent de la reconstruction d’une estime de soi et d’une sécurité identitaire primaire.

Avec l’accident j’ai tout perdu ma vie d’avant. J’ai dû retourner chez mes parents. Je voulais retravailler, être autonome, retrouver une vie normale.

Benoit Even, ancien éleveur porcin, travailleur d’Ésat dans le Finistère.

Travailler en Ésat a un effet structurant :

[ça me] permet d’être une personne aboutie,

de

prouver qu’on existe comme une personne.

Les travailleurs handicapés entendus par la mission se considèrent unanimement comme « des travailleurs » et se présentent par leur métier. Travailler est source de fierté et constitue pour beaucoup d’entre eux l’aboutissement d’un parcours long et difficile (hospitalisations, périodes d’inactivité à la maison ou en foyer, etc.).

La valeur travail est très forte chez les travailleurs d’Ésat, et se lever le matin pour aller travailler est un point important du développement personnel, de l’équilibre social et familial et du sentiment de dignité, notamment vis-à-vis de leurs enfants.

La satisfaction d’avoir un métier et un bulletin de paie à la fin du mois « comme tout le monde » reviennent systématiquement dans les verbatim.

C’est d’ailleurs plus le travail que la rémunération qui constitue le moteur pour les travailleurs :

la rémunération, on m’avait prévenu qu’il ne fallait pas s’attendre à trop(…) même quand on additionne le salaire direct, la garantie et l’AHH, ça fait toujours mal… je touchais plus en étant au chômage sans rien faire chez mes parents (…) et pourtant je suis venu.

Effets de socialisation et de banalisation du handicap

La participation à un collectif de travail sécurisant semble avoir des retombées psychologiques importantes. Le Gésat évoque des « solidarités de compensation » qui jouent un rôle majeur de socialisation (entraide entre travailleurs, solidarité dans les tâches, bienveillance et compréhension par rapport aux troubles du comportement liés au handicap). La sécurité du lieu canalise des comportements qui ne seraient pas tolérés dans une entreprise classique, et la gestion de ces comportements est intégrée au quotidien tant par le personnel encadrant que par les collègues travailleurs handicapés.

Le handicap et ses manifestations ayant droit de cité, il est en quelque sorte banalisé, et cette banalisation contribue à son tour à recréer un équilibre pour les personnes.

Certains auteurs québécois utilisent, à propos des Ésat, le terme de « rétablissement » des personnes. Non que le handicap ou la maladie soient niés, mais la personne n’est plus réduite à son handicap.

Les bénéfices d’un environnement bienveillant et d’un rythme adapté

Les travailleurs rencontrés exprimaient plutôt de la satisfaction et de la reconnaissance pour l’encadrement et les conseils dont ils bénéficient (cf. encadré 13), même si la mission a aussi eu connaissance, sur des forums d’usagers et via les services du Défenseur des droits, de témoignages peu amènes relatifs à des décisions prises sans concertation notamment sur des réductions de rémunérations, par exemple.

La notion de bienveillance revient souvent dans les verbatim recueillis (encadrement personnalisé par les moniteurs d’atelier, horaires et quotité de travail adaptés en fonction de la fatigabilité et des rendez-vous médicaux, personnel médico-social présent sur le site (assistante sociale, psychologue, direction), ambiance générale respectueuse des personnes).

Le fait que, à l’Ésat, le travail s’adapte à la personne permet de reprendre le contrôle de sa vie. Les personnes peuvent travailler selon un rythme qui respecte leurs limites physiologiques et leur laisse du répit :

Le milieu ordinaire, je peux plus. Je suis fatigué tout le temps. Mon corps ne récupère plus.

Benoit Even, travailleur d’Ésat dans le Finistère

Globalement, l’Ésat permet de se sentir (à nouveau) respecté :

Ici, la direction nous vouvoie.

Un statut sécurisant

La garantie de pouvoir « garder sa place » en cas de décompensation avec hospitalisation(s) de longue durée est vécue comme une sécurité majeure pour les personnes atteintes de troubles psychiques.

De même, le fait de savoir qu’on pourra basculer d’un poste debout à un poste assis etc. en fonction de l’avancée en âge et en fatigabilité, procure un sentiment de sécurité :

Ici, ils ne nous laissent pas tomber.

Trois témoignages de travailleurs d’Ésat sur leur prise en charge :

À l’Ésat, je me sens bien parce qu’il y a une bonne ambiance, on se fait des blagues. Moi, je suis du genre à mettre l’ambiance et à détendre l’atmosphère quand ça ne va pas entre collègues. Comme je me débrouille bien en blanchisserie, j’ai demandé à pouvoir passer ma VAE. Ma cheffe d’atelier m’a dit que, vu que j’allais devenir père, il était peut-être mieux que tout soit stable avant que de me lancer là-dedans.

Les encadrantes m’aident beaucoup: elles m’expliquent les différentes tâches qu’il y a à faire. Quand je sature, je prends la monitrice à part pour lui dire ce que je ressens et ça se passe mieux. Parfois, je peux laisser mes émotions prendre le dessus. Du coup, elles me donnent des consignes mais moins maintenant car je connais mon travail.

Un travailleur à l’atelier blanchisserie de l’Ésat du centre de la Gabrielle depuis 2017.

J’ai été admis à l’atelier de sous-traitance en 2012. J’ai eu un peu de difficulté au début car je n’écoutais pas trop. C’était nouveau, je n’en faisais qu’à ma tête… Peut-être encore un peu jeune dans ma tête. Ensuite, je me suis mieux entendu avec mes collègues, je comprenais les consignes de travail, j’ai évolué. J’ai grandi et appris à écouter les consignes avec l’aide des moniteurs. Ils m’ont montré comment faire. Quand je n’étais pas bien, on allait dans le bureau et ils m’écoutaient. Ils me donnaient des conseils que je mettais en application.

Un travailleur à l’atelier conditionnement de l’Ésat du centre de la Gabrielle depuis 2012.

Il nous faut absolument un environnement adapté pour nous. Les Ésat donnent une chance à tout le monde, c’est pour cela qu’ils doivent être soutenus. Nous voulons pouvoir changer notre projet personnalisé lors de la réunion de projet avec l’Ésat, ce qui n’est pas toujours le cas. Les Ésat nous permettent d’être moins vulnérables que si nous étions lâchés en pleine nature. Nous sommes avec des gens qui nous ressemblent

Florence Jablonski, travailleuse à l’Adapei du Doubs, administratrice Nous Aussi pour la région Est.

Effets thérapeutiques de stabilisation

Plusieurs Ésat spécialisés dans l’accueil de personnes en situation de handicap psychique et en lien étroit avec des structures de soin ont indiqué à la mission observer des phénomènes de moindre recours aux soins de leurs usagers après leur admission en Ésat par rapport à la situation précédant cette entrée. Certes, les usagers entrent en Ésat parce qu’ils sont en partie stabilisés, mais le travail en Ésat contribue aussi à la poursuite de cette stabilisation, avec un espacement des épisodes aigus, des hospitalisations moindres, et, parfois, des allègements des traitements. Les Ésat évoquent aussi une régression et une stabilisation de certains symptômes au fil du temps, ce que des travailleurs d’Ésat ont aussi pu exprimer à la mission :

Le travail ici ça m’apporte l’équilibre dans ma vie personnelle.

Un travailleur à Brest.

l’Ésat m’aide à aller mieux ».

Une travailleuse à Aubervilliers.

Ces externalités positives mériteraient d’être documentées et chiffrées à partir de quelques études de cas.

A contrario, le retour vers le milieu ordinaire peut être déstructurant :

quand je suis retournée en milieu ordinaire, mon handicap est revenu.

une travailleuse du Finistère, déléguée du personnel.

Autonomie financière

Le travail en Ésat permet d’accéder à une autonomie financière, laquelle peut permettre d’avoir un chez-soi et de quitter le domicile parental :

J’ai pu acheter un appartement.

Une travailleuse à Brest.

Temps de travail ajustable

L’Ésat est aussi décrit par les personnes en situation de handicap comme permettant, notamment grâce au temps partiel, un équilibre entre activité professionnelle et vie privée.

Certains travailleurs avaient fort bien identifié que leur pouvoir d’achat était relativement indépendant de leur quotité de travail, du fait du jeu combiné de la garantie de ressources et de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) différentielle. Un directeur d’Ésat a d’ailleurs indiqué à la mission que la pratique croissante du temps partiel résultait aussi du constat fait par les travailleurs qu’ils « touchaient pareil » à 80% ou à 100%.

Développement des compétences et accès à la formation professionnelle

La mise au travail développe des savoir-faire et des savoir-être professionnels (par exemple : respect des horaires, port de vêtements de travail, respect de la « marche en avant » en blanchisserie ou en cuisine, respect des consignes de sécurité).

La majorité des Ésat visités avait engagé ou mené à terme des démarches de reconnaissance des acquis de l’expérience (RAE – cf. 3.2.2), celles-ci ne concernant toutefois qu’un petit nombre de travailleurs par Ésat.

Les Ésat ont quasiment tous indiqué avoir accompagné leurs travailleurs dans l’ouverture de leur compte personnel de formation (CPF), regrettant au passage la difficulté pour les personnes ne maîtrisant pas la lecture ou l’outil informatique d’accéder à leurs droits.

Accès à un accompagnement social

L’accompagnement social et l’aide aux démarches administratives proposés en Ésat sont précieux pour des personnes dont le handicap n’est souvent pas la seule problématique. À titre illustratif, l’Ésat de transition Iris Messidor à Bobigny accueille régulièrement des travailleurs handicapés sans domicile fixe.

Participation à la vie sociale

L’Ésat est aussi décrit comme apportant une ouverture en termes de vie sociale :

Je suis accompagné par un chargé d’insertion. Je fais des stages et du bénévolat. On ne nous laisse pas dans le cocon de l’Ésat.

Evan, travailleur en fauteuil à Brest.

D’aller rencontrer tous ces enfants à l’école maternelle, cela m’a fait grandir.

Une travailleuse de L’Arche.

Des interactions sécurisées avec le milieu ordinaire de travail

De nombreux travailleurs d’Ésat rencontrés ont insisté sur le fait que leur activité professionnelle les met en contact régulier non seulement avec des collègues de travail mais aussi avec le milieu ordinaire.

La vision d’une inclusion qui passerait uniquement par un recrutement dans une entreprise classique en milieu ordinaire est contestée par les travailleurs handicapés eux-mêmes. Un travailleur handicapé travaillant dans les espaces verts à l’Adapei de la Meuse exprimait ainsi :

quand j’entends dire que les Ésat enferment les gens, ça me met en colère. Moi, le milieu ordinaire, j’y suis tous les jours.

Les travailleurs « détachés » chez des clients sont souvent aussi conscients que sans la médiation de l’Ésat, il leur serait difficile de s’exposer au regard du milieu ordinaire : l’encadrement par un moniteur-éducateur, la possibilité d’un appui médico-social, la possibilité d’ajuster à tout moment la quotité de travail, constituent des facteurs de réassurance pour les « détachés ». Par exemple, à Aubervilliers, une travailleuse handicapée travaillant chez H&M a demandé à revenir travailler un jour par semaine en conditionnement à l’Ésat pour être sûre de pouvoir « débriefer » régulièrement avec le personnel médico-social de l’Ésat et ne pas avoir à gérer en continu la charge mentale et émotionnelle du milieu ordinaire.

En quelque sorte, le soutien de l’Ésat rend possible une expérience sécurisée du milieu ordinaire que la plupart des travailleurs rencontrés considèrent comme particulièrement peu bienveillant. Les expériences négatives dans des entreprises classiques sont fréquemment évoquées (moqueries, agressivité, insultes, mise à l’écart). Ces expériences, vécues ou relatées par d’autres, font office de repoussoir :

Moi, le milieu ordinaire, plus jamais !

dans les entreprises classiques ils pensent que les handicapés sont bons à rien.

Du point de vue de la mission, ce n’est donc pas tant les responsables d’Ésat qui retiendraient leurs travailleurs que ces derniers qui, non sans raisons objectives, préfèrent conserver leur appartenance juridique à l’Ésat, les conditions d’un basculement non traumatisant en milieu ordinaire ne leur paraissant pas réunies.

La possibilité d’être accompagné vers le milieu ordinaire

Parmi l’ensemble des travailleurs rencontrés, rares étaient ceux qui avaient pour projet une sortie vers le milieu ordinaire (y compris plusieurs travailleurs d’un Ésat de transition de Messidor à Lyon, exprimant le souhait d’une sortie vers un Ésat).

À titre illustratif, à l’Adapei de la Meuse, sur les 232 travailleurs du pôle industriel et les 125 travailleurs du pôle agricole, 10 personnes avaient pour projet de sortir.

Toutefois, la mission a aussi rencontré quelques travailleurs, peu nombreux, qui étaient très déterminés à rejoindre le milieu ordinaire, et se disaient soutenus et accompagnés par l’Ésat dans ce projet.


Source : Rapport de l’IGAS sur les établissements et services d’aide par le travail (PDF – 4,8 Mo)

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